A Monsieur A Qui de Droit, République Démocratique du Congo

Je vous écris de l’avion qui me ramène en France, afin de retrouver, pour quelques jours, une partie de ma famille, dont Esaïe -Antoine, mon deuxième petit-fils.
Il est âgé de 3 mois et vit à l’hôpital depuis son accouchement prématuré à près de 6 mois de grossesse.
Il ne peut, pour l’instant respirer suffisamment l’air libre et est encore dépendant des machines respiratoires. Mais les images de lui que nous recevons régulièrement par Imo montrent qu’il continue de grandir, et forge peu à peu son caractère. Je crois qu’il sera incollable sur les types et fonctionnements des machines en réanimation tellement il en a bavé. Mais vous imaginez notre bonheur de l’avoir avec nous. Nous ne pouvons qu’être reconnaissants à ce système de santé (français) qui focalise ses priorités sur La Vie. Je n’ose pas imaginer quel aurait été son sort s’il était né chez nous en RDC. 
Dès que je le serrerai dans mes bras demain, il saura que je vous ai écrit. Il saura que je vous ai parlé de Merveille, une jolie fillette de 4 mois que j’ai vue hier.
Merveille va très bien mais sa mère, laborantine de profession (comme son mari), est venue me voir en consultation sur conseil d’un proche.
Elle est très fatiguée depuis son accouchement et  a maigri de 5 kilos. Je l’ai examinée et lui ai effectué une échographie. Cette jeune congolaise, pas encore la trentaine, fraîchement mariée, première (et sans doute, dernière) fois mère, est atteinte d’une maladie qui aurait pu être diagnostiquée il y a plus de 3 mois avec des moyens simples et disponibles en RDC. Le stade actuel ne laisse malheureusement pas beaucoup de doute : la mère de Merveille va MOURIR dans les 4 à 6 mois !
Merveille nous regardait pendant ce lourd entretien, elle ne pouvait admettre un seul instant qu’elle sera orpheline avant une année de vie. Elle n’a pas cessé de m’envoyer des sourires, comme pour me supplier de faire quelque chose. 
Monsieur A Qui de Droit,
Malgré un stade très avancé de sa maladie, qui ne laisse donc que peu de chance, nous devons faire ce quelque chose que toute médecine humaine, à travers le monde, devrait tenter, faire ce quelque chose que Merveille nous  commande. Mais je sais que notre pays, bourré de femmes et d’hommes compétents, certains faisant le bonheur dans d’autres pays d’accueil, n’offre pas cette possibilité à nos compatriotes.
Il n’y a pas de structure adaptée pour sa prise en charge, il n’y a pas de filière de soins organisée pour éviter de laisser à l’abandon ceux qui pourraient être nos sœurs, nos frères, nos parents, nos proches, nous-mêmes. 
Vous le savez déjà, Monsieur A Qui de Droit, pour 100 dollars dépensés pour des soins en RDC en 2015, notre pays a contribué à hauteur de seulement 15 dollars; près de 40 dollars provenaient des aides extérieures (OMS, UNICEF, ….), et plus de 40 dollars, des familles qui, souvent, doivent se saigner pour trouver cette modique somme. La situation sanitaire est dramatique dans notre pays. Et quand on sait qu’il est déjà programmé un désengagement progressif de l’aide extérieure dans les dix années à venir, je n’ose pas imaginer la catastrophe. 
J’ai oublié de vous dire, Monsieur A qui de Droit, que ma patiente d’hier n’avait pas de quoi régler son échographie, pourtant indispensable, que je me suis résolu de réaliser gracieusement.
L’accès aux soins de qualité est un problème dans notre pays, non seulement pour nos compatriotes vivant dans l’arrière -pays, mais également ceux vivant dans de grandes villes qui, pour la plupart, vivent sous le seuil de pauvreté (près de 9 congolais sont des sous-pauvres!, vivant avec moins de 1,45 USD par jour), n’ont déjà pas de quoi se nourrir correctement ; ils sont loin de pouvoir se payer des soins minimums. 
Pire, il arrive que des compatriotes, minoritaires certes, capables de payer leurs soins, ne trouvent pas de structures adaptées pour être pris en charge en urgence, et en meurent ! Notre pays manque des structures spécialisées (type centre d’excellence) aux normes internationales. Il y a des maladies ou des urgences qui nécessitent une prise en charge appropriée dans les 30 minutes à 1 heure, sous peine de décès. Un malaise, une crise cardiaque, une hémorragie, etc. ne préviennent pas et peuvent concerner chacun d’entre nous.
Il est donc facile de comprendre les pertes en vie humaine, pouvant parfois survenir dans l’avion d’évacuation vers un pays étranger, dont les plus proches sont habituellement à 2 à 3 heures de la RDC ! 
Avec un peu plus d’imagination, et avec ce qui est déjà dépensé annuellement, je suis convaincu que nous pouvons améliorer le quotidien de nos compatriotes. Nous ne pouvons rester résignés devant cette catastrophe humanitaire qui veut que l’espérance des vies des congolais (50 ans) soit en dessous de la moyenne africaine (60 ans), très loin de la moyenne française (80 ans).
80 ans, C’est le minimum que j’espère pour mon petit-fils Esaïe-Antoine, mais également pour Merveille dont, qui sait?, les chemins se croiseront peut être un jour. Ils témoigneraient ainsi, ensemble, des bénéfices de tous les sacrifices et combats consentis aujourd’hui, qui nécessitent votre implication et votre leadership. Votre implication permettrait, par exemple, que l’engagement de la RDC à l’accord d’Abuja, en 2011, soit appliqué ; engagement de relever (et réellement exécuter) le budget de la santé à 15% du budget national. Ceci permettra une profonde réorganisation de notre système de santé afin de limiter cette casse humaine quasi quotidienne.
Je vous prie d’agréer, Monsieur A Qui de Droit, l’expression de mes sentiments respectueux et patriotiques.